Lfch-Interview de Denis Bodor

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Interview de Denis Bodor (GNU/Linux Magazine France)

par la rédaction de LinuxFrench

Note : Cet article a été publié initialement le jeudi 23 octobre 2003 sur LinuxFrench sous le titre « LinuxFrench a interviewé Linux Magazine France » à l'adresse suivante : http://www.linuxfrench.net/article.php?id_article=1162. Aucune modification n'a été apportée depuis quant à son contenu.


Vous avez l’habitude de lire ces revues mais savez-vous qui est derrière ? Non ?

LinuxFrench se propose de vous faire découvrir ceux que vous lisez chaque mois ou bimestre à travers l’interview de leur rédacteur en chef.

Nous commencons cette série d’interviews par Denis Bodor, Rédacteur en Chef de Linux Magazine France ! Bonne lecture.


- LinuxFrench :Quelle fut la raison pour laquelle ce magazine a vu le jour, et quels en ont été les instigateurs ?

- Denis Bodor : La genèse du magazine est à la fois simple et sans doute peu courante.

J’utilisais déjà depuis quelque temps GNU/Linux en étant employé au service d’assistance téléphonique d’un VPCiste informatique lorsque j’ai décidé de convaincre le gérant de ladite société de distribuer le système GNU/Linux. À l’époque il s’agissait de la distribution Kheops (slack francisé) des logiciels du soleil. Le courant est tout de suite bien passé avec Joël Bernier. Nous avons échangé de nombreux appels et lorsque j’ai avancé l’idée d’un magazine j’ai vraiment trouvé un écho positif.

Joël a rendu possible la communication entre les premiers auteurs des tous premiers numéros, moi, Vincent Renardias, Pierre Ficheux ou encore Éric Seigne, etc...

À l’époque, j’avais déjà écrit quelques papiers techniques pour un magazine déjà édité par Diamond Edition : Presqu’Offert.

Et voilà, durant l’été 98, tous nous avons travaillé sur le numéro 1. L’époque n’était pas encore celle des start-up florissantes et peu de gens connaissaient Linux en vérité. La prise de risque fut minimale, nous ne savions pas ce que tout cela allait donner et Diamond était une très jeune société. Ce premier numéro apparut en kiosque en Septembre 98, sur un papier que l’on pourrait qualifier de "buvard". si vous possédez un de ces numéros, gardez-le précieusement ;)

Voilà comment tout cela est arrivé. Quelques personnes réparties dans toute la France et une entreprise qui a osé prendre le risque.

- Quels sont les principaux annonceurs dans votre magazine ?

Il s’agit surtout d’annonceurs en rapport avec l’hébergement de serveurs, d’organisateurs de salons et en général tout ce qui tourne autour des serveurs ou des publications techniques (livres).

Il fut un temps, les distributions annonçaient dans les pages de tous les magazines pro-Linux (et autres). Mais cette époque est révolue.

Cela dit, le magazine dès le départ a été conçu pour "vivre" de ses lecteurs et non des annonceurs. Ceci permet aux auteurs et à moi-même de jouir d’une grande liberté en terme de rédaction des articles. Mais je reviendrai là-dessus plus loin.

Je ne désespère pas de voir des annonceurs plus "génériques" dans le magazine comme des brasseurs ou tout autre produit dont on voit les publicités dans d’autres magazines plus "grand public". Ceci tant pour des raisons personnelles (égoïstement, je trouve qu’une pub pour une certaine bière irlandaise ferait très bien dans le magazine) que parce que cela signifirait que GNU/Linux, la technique informatique et le libre seraient devenus des choses aussi bien installées que la science, les mathématiques et les technologies modernes en général.

- Selon vous, un magazine tournant autour du libre est-il un simple magazine d’information ou a-t-il un rôle politique et didactique (par exemple sur les problèmes de brevets logiciels ou de vente forcée...) ?

Un simple magazine d’information ? Certainement pas !

Le choix du libre est principalement motivé par des raisons techniques et de bon sens. Je ne reviendrai pas sur les avantages du libre et de l’opensource en terme de stabilité et de sécurité.

Mais au-delà de la simple technique, il y a la notion de partage et de travail en communauté. Faire partie d’un tout est un besoin présent chez toute personne et donc tout naturellement chez tout utilisateur. La liberté du logiciel libre c’est aussi cela, la liberté d’être avec des gens qui partagent votre point de vue et le même amour de la technologie. Je pousse peut être le bouchon un peu loin, mais quelque part, chaque utilisateur de logiciels libres est un peu comme les amateurs de sciences d’il y a quelques siècles. Chacun apportant sa contribution à un ensemble : la science.

Le problème des brevets sur les logiciels et la vente forcée entrent dans une catégorie à part. Il s’agit de tractations économico-stratégiques qui ont des conséquences bien plus importantes qu’il n’y paraît. L’aspect "informatique" ou "Linuxien" des brevets et de la vente forcée n’est qu’un élément d’un problème plus important. Il est dommage que, comme c’était le cas pour la manifestation de strasbourg, peu de gens comprennent et se font l’écho de ces problèmes. J’ajouterai dans cette catégorie les problèmes liés à l’utilisation de systèmes et de logiciels "propriétaires" dans les écoles et lycées.

Malheureusement, utiliser un magazine de la communauté pour apporter un avis sur ces problèmes c’est "prêcher des convertis". Linux Pratique a un peu plus de chance de toucher des personnes "non-informées", mais la vraie communication devrait être faite par les médias plus importants comme la presse grand public, la radio nationale ou la télé... J’ai cependant l’impression que ces média n’ont plus pour tâche d’informer les gens mais de les gaver avec des choses simples et facilement digérables.

Linux Mag fait ce qu’il peut pour défendre la liberté des logiciels et c’est parfaitement normal, ce qui touche le libre nous touche en tant qu’utilisateurs et touche les lecteurs... et donc le magazine.

- Pouvez-vous décrire le type de lecteur que vous visez, quel est son profil type ?

Il n’y a pas de "profil" type si ce n’est que l’informatique et la technologie forment un point névralgique de la vie de nos lecteurs selon moi. L’ordinateur est présent dans les milieux professionnel et personnel.

Je pense que les lecteurs de Linux Mag sont des "amoureux" de la technologie. Bien sûr, la plupart en ont fait leur métier ou une composante de leur métier.

Il m’est très difficile de cerner avec précision les lecteurs. Chacun "pioche" dans Linux Mag ce qui lui plait.

- Comment se repartissent vos rédacteurs, entre permanents et pigistes ?

La quasi-totalité des articles est écrite par des auteurs externes. Je pense ne pas faire d’erreur en disant qu’aucun article du magazine, sur 55 numéros maintenant, n’a jamais été écrit par un journaliste professionnel. Je préfère avoir une autre vision de la rédaction.

Pour moi on ne parle bien que de ce qu’on utilise souvent. Lorsqu’il s’agit d’articles comme ceux de Linux Mag, on se rend facilement compte qu’ils "transpirent" l’expérimentation personnelle et la mise en application. Ça a toujours été la base de travail, "ne jamais écrire sur quelque chose qu’on a pas essayé".

Dans ces conditions des "journalistes" capables d’écrire de manière générique sur n’importe quel sujet arbitrairement choisi par le rédacteur en chef, ne peuvent produire des articles pour Linux Mag. Il n’en reste pas moins que ces journalistes font souvent un excellent travail pour des magazines grand public. C’est simplement que pour une revue presque "scientifique" comme Linux Mag, ça ne peut pas fonctionner. Comme tous les magazines vraiment techniques et pratiques il nous faut des "Monsieurs Qui" et non des "Monsieurs Je".

Mes auteurs écrivent systématiquement sur des sujets que "eux" ont choisis en se basant sur des expériences personnelles. C’est comme ça que ça marche chez nous :)

- Travailler avec des logiciels libres dans le cadre de la rédaction et de la mise en page de votre magazine est-il aujourd’hui d’actualité ? ou utilisez-vous toujours des logiciels du type "Xpress", "In Design", "Photoshop" et "Illustrator" ?

Ah, l’éternel problème des plates-formes et logiciels spécialisés en entreprise...

La mise en page des magazines est faite avec Xpress. L’utilisation de plus en plus courante du format PDF pour les échanges avec les imprimeurs nous permet maintenant d’envisager d’autres solutions.

Malheureusement, cela prend du temps. Il faut bien comprendre que le monde de l’impression (et non de l’édition) évolue très doucement et que, de ce fait, basculer d’une technologie à une autre est une démarche lente et douloureuse où il convient de convaincre un par un les intervenants.

À titre d’exemple, lorsque vous éditiez un magazine il y a un ou deux ans, vous fournissiez un document Xpress Mac (il y avait des problèmes de compatibilité avec Xpress Win). Aujourd’hui, le PDF s’installe petit à petit, mais vous souvenez vous quand vous avez vu votre premier document PDF ? Quand vous avez créé pour la première fois ce type de document ? Dites-vous bien que les ordinateurs sont quelque chose de réellement nouveau dans l’impression. Le temps des lettres en plomb n’est pas si loin dans le passé...

Le couple Xpress/distiller est encore quasiment indispensable pour l’édition de magazine. Pour les livres, LaTeX est encore très peu connu (et oui) en dehors des gros imprimeurs alors que MS Word est très courant (c’est un comble).

Illustrator est rarement utilisé chez nous. Nous travaillons surtout avec des captures d’écran et le vectoriel est alors inutile (oui, parfois il y a des captures d’écran dans Linux Mag :). Pour les schémas c’est souvent xfig qui est utilisé et les graphiques sont utilisés directement en EPS après exportation par xfig.

Photoshop est toujours l’outil graphique le plus courant en infographie en raison de l’incapacité de The Gimp à utiliser un espace chromatique à 4 couleurs (CMJN/CMYK). Cependant, il arrive que des concepts de couverture soient étudiés avec The Gimp.

Enfin, il arrive également que des couvertures se basent sur des images renderisées grâce à POV-Ray.

Tout l’aspect pré-PAO est cependant fait sur une majorité d’outils libres ou opensource. Les auteurs utilisent directement un éditeur de texte pour leurs articles et à la relecture, c’est OOo qui entre en marche. On peut donc dire que le libre est très présent dans la chaîne de production de nos magazines.

- Faut-il influencer les gens pour qu’ils utilisent des logiciels libres ?

Je trouve que le mot est très bien choisi, "influencer". Habituellemnt on trouve plutôt des mots comme "inciter" ou "pousser".

Oui, il est bien d’influencer les gens dans leur utilisation de l’informatique en leur montrant les avantages du libre et des technologies réellement ouvertes. C’est normal, c’est bien pour eux, non ? :)

Par contre, je n’aime pas l’évangélisation autour du libre. J’ai déjà tellement entendu de personnes me dire "pourquoi j’utiliserais du libre puisque je peux copier Office" ou encore "Je m’en fiche de la stabilité et de toute façon réinstaller une fois par mois". On ne peut pas forcer quelqu’un à attraper une bouée qu’on lui lance s’il s’acharne à vouloir se noyer...

Je préfère ne pas me lancer dans des dialogues de sourds avec ces utilisateurs. Il est plus intéressant, à mon sens, de les laisser se demander "mais qu’est-ce que c’est ce truc" pour ensuite leur montrer sur leur initiative et non la nôtre. On lui jette la bouée s’il fait mine d’avoir besoin d’aide.

"influencer", c’est très exactement cela... oui...

- Quelle sera d’après vous la place des logiciels libres dans 2 ans ?

Je pense que le domaine des serveurs en tout genre sera sans doute composé presque entièrement de solutions libres. C’est un déroulement normal des choses, comme une sorte de sélection naturelle en somme.

Le domaine de la bureautique est plus difficile à juger. Je pense qu’en entreprise les solutions libres prendront de plus en plus de place. Là aussi c’est une question de déduction logique, de calcul des coûts, etc... Mais cela se passera en douceur, PME par PME... et ce après quelques coups d’éclats de grosses migrations par de grosses sociétés.

Nous avons ensuite l’ordinateur de Mr tout le monde. Là... cela relève de la divination. Nous avons trois acteurs "sur le coup". GNU/Linux, Windows.... Mac OS X. C’est amusant de voir que parmi les trois concurrents en course nous avons deux UNIX :)

Je ne suis pas devin mais ce que je peux dire c’est que j’utiliserai sans doute toujours GNU/Linux dans 2 ans et bon nombre des auteurs du mag aussi :)

Dans la section "idées folles", pourquoi ne pas imaginer le passage du 32 bits au 64 bits sur PC comme l’occasion pour Microsoft d’annoncer son UNIX... Qui l’avait prévu dans le monde Mac il y a quelques années ? Très peu de monde...

Pourquoi ne pas s’attendre à voir apparaître un UNIX MS (qui a dit "Xenix XP 2005" ?), une base BSD (et oui, MS n’aime pas la GPL) et une couche graphique avec des APIs compatibles Win32... Si c’est le cas, cela risque d’être très intéressant :) Pour finir, quelle est la question que nous ne vous avons pas posée, mais à laquelle vous auriez voulu répondre ?

Je me doutais qu’il y aurait une question piège :)

Disons...

- quel est le prochain domaine que le libre DOIT conquérir ?

Et là je répondrais sans hésitation : l’éducation.

Lorsque je vois des ordinateurs Windows dans les écoles, bourrés de logiciels propriétaires fournis gratuitement, cela me fait penser aux enfants américains à qui ont apprendre à lire sur écran de PC que telle boisson gazeuse est sa boisson préférée, en guise de cours de lecture.

D’un autre coté, je comprends aussi les écoles et les instituteurs et trices qui n’ont pas forcément le temps et les compétences de chercher autre chose que ce qui est livré avec le PC.

Je pense qu’il y a un gros enjeu dans l’éducation. L’informatique et Internet est de plus en plus présent et ce serait vraiment dangereux de laisser la génération future prendre des réflexes d’utilisation qui conditionneraient une utilisation automatique de logiciels propriétaires.

Il serait bien de ne pas laisser que les associations comme l’abul et les programmeurs libres de logiciels éducatifs, s’occuper seuls de tout cela. Les institutions chargées de l’éducation au niveau national et municipal devrait mettre la main à la pâte et se pencher sur l’avenir de nos enfants...

C’est tout de même incroyable qu’avec notre niveau d’industrialisation et notre fierté toute française nous n’arrivions pas à reproduire ce que l’Extramadure a eu le courage et le bon sens de faire.




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