Lfch-Un petit vent d ete
Un petit vent d'été
Un petit vent d'été (lettre ouverte à Pierre Bugnon). Réponse à l'article « un vent d'hiver ». Pierre Bugnon est architecte, département marketing technique de Microsoft France.
Par Albert
Note : Cet article a été publié initialement le 16 mai 2003 sur LinuxFrench à l'adresse suivante : http://www.linuxfrench.net/article.php3?id_article=1214. Aucune modification n'a été apportée.
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Ce n'est qu'aujourd'hui que je découvre (enfin) votre éditorial publié il y a de cela quelques mois [6], et sa lecture m'a donné envie de vous répondre :
La lecture de cet article, m'a également fait penser à une célèbre phrase de Boris Vian (qui est d'ailleurs le titre de l'un de ses romans), « Et on tuera tous les affreux », les affreux étant bien sûr pour vous, tous les adeptes du libre, sociétés comprises.
Libre et diversité
Les adeptes du libre, et les linuxiens en tête, ainsi que les sociétés qui les soutiennent sont-ils si antinomiques que cela ? ne pouvant s'accorder sur tel ou tel sujet comme vous le prétendez ?
Je ne le pense pas, et je ne suis certainement pas le seul, vu le nombre grandissant d'utilisateurs qui se servent de systèmes d'exploitation libres dans le monde.
Tout d'abord, avoir une pensée différente ne signifie pas de manière absolue que l'on ait tort, loin de là. Ce n'est que la pensée unique, le monopole, le manque de diversité qui mènent à la sclérose, que ce soit en terme d'innovation ou simplement dans la vie de tous les jours (ce que l'on peut voir à la télévision en est déjà une bonne représentation).
Il est donc tout à fait normal, et je dirais même plus sain que des avis divergents aient cours dans le monde du libre, comme vous avez pu le remarquer lors du salon « Solutions Linux ».
C'est en effet grâce à ces avis différents que le système évolue et que l'innovation se crée.
Pour les entreprises le cas est légèrement différent, beaucoup d'entre elles ne voient pour l'instant que le côté gratuit des applications dont elles peuvent profiter et user. Mais les mentalités changent et un nombre croissant d'entre elles commence à participer à leur évolution.
En effet, elles ont, plus que l'utilisateur lambda, besoin de pérennité, et si le logiciel propriétaire qu'une entreprise utilise disparaît, son seul espoir est que les formats de fichiers ou les caractéristiques du produit qu'elle a acheté lui permettront d'évoluer, mais ceci n'est généralement pas le cas.
Un logiciel libre offre aux entreprises utilisatrices l'opportunité, même si le logiciel n'intéresse plus personne à part elles-mêmes, de pouvoir le modifier, les sources étant disponibles, et de le faire évoluer selon leurs besoins propres.
Vous parlez aussi de ces sociétés qui sponsorisent Linux, à leur seule fin, mais pour qu'un sponsoring soit intéressant, et où qu'il se situe, que ce soit dans l'informatique ou dans le sport, celui-ci doit être intéressant pour les deux parties, il est donc tout à fait normal que celles-ci en retirent quelque chose en terme d'image de marque et en reconnaissance (et en clients supplémentaires !).
Je ne pense pas, mais cela est tout à fait subjectif, que leurs actions soient dictées par la seule envie de vous nuire (vous Microsoft), mais par la volonté d'aider des gens qui font des choses en lesquelles ces mêmes sociétés croient...
La sécurité
Parlons-en, je n'ose rire de l'argumentation que vous utilisez alors même qu'en ce debut d'année votre société fut victime d'un ver (dont il est vrai, un correctif fut fourni six mois plus tôt) sur ses propres serveurs, qui eux n'avaient pas été mis à jour...
Quand on prêche la sécurité, c'est d'abord à soi qu'il faut l'appliquer, comme quoi c'est souvent le cordonnier qui est le plus mal chaussé...
Mais passons sur cet événement, pour aller vers le coeur du sujet, la sécurité dans les logiciels libres.
Alors que linux ou les xBSD intègrent une sécurité de base de très haut niveau (OpenBSD n'ayant à son actif qu'un seul trou de sécurité en 7 ans), il faut pour votre système d'exploitation y adjoindre un nombre toujours croissant d'applicatifs, de correctifs, de mises à jour qui sont pour la plupart payants.
La sécurité ou du moins le manque de sécurité intervient au coeur même de certaines de vos applications ; ainsi, comme l'a si bien démontré un article du magazine MISC [1], il est aisé pour le pirate en herbe ou tout simplement pour la personne qui est destinaire d'un document Microsoft Word de connaître toutes les étapes de sa création, de ses modifications ainsi que l'emplacement du dit fichier sur son disque dur ou sur le réseau, et cerise sur le gâteau, son adresse de courriel, ainsi que celle du ou des destinataires...
Et ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres... (en effet de nombreux exemples de bogues ou de fonctionnalités pas ou peu documentés peuvent avoir un effet très néfaste sur la machine de l'utilisateur. VBS (visual basic script) dans les applications Word, Excel et Outlook est souvent à l'origine de trous de sécurité, permettant la diffusion automatique de virus ou de vers...
Mais je m'égare, cela n'étant pas considéré par vos services comme un bogue ou comme un manque de sécurité, mais comme une option de suivi de vos applications...
Nous n'avons donc pas la même conception de ce qu'est la sécurité.
Incidemment dans votre texte, vous parlez de nombreux trous de sécurité qui jalonneraient des semaines durant certains logiciels libres, mais excusez-moi du peu, je crois que votre système de comptage est quelque peu erroné.
En effet une erreur sur Sendmail motivant une alerte de sécurité de la part de tous les éditeurs de distributions, n'est en fait qu'une seule erreur, et la répéter sur autant de distributions linux en la comptabilisant comme erreur unique pour chacune d'elles est un peu équivoque, je suis sûr que vous en conviendrez !
Et les virus, ah ! les virus, cherchez, il n'en existe pas sous linux ou xBSD, alors que je crois que certaines sociétés créatrices d'anti-virus en recensent environ 1 000 actifs à ce jour sur Windows [2].
Et si je ne m'abuse, la réputée société de consulting Gartner [3] a publié il y a déjà quelques temps un avis exhortant ses clients à abandonner les produits de Microsoft pour leurs serveurs Web, et de leur préférer le couple Linux/Apache, et qu'aussi une société d'assurance américaine "Wurzler" [4] annonçait que ses clients utilisant des produits Microsoft devraient s'acquitter d'une surtaxe (de 5% à 15%) pour les contrats liés aux risques de piratage. Les assurances étant, comme chacun sait, très au fait des réalités en ce qui concerne l'évaluation des risques et donc particulièrement sensibles aux problèmes de sécurité qui pourraient leur coûter de l'argent sous forme d'indemnisations de sinistres...
La pérennité
Il existe une raison pour laquelle une solution libre sera très souvent plus pérenne qu'une solution propriétaire, c'est son coût ; il n'est en effet pas possible financièrement pour une société de continuer à fournir un support ou d'apporter des correctifs trop importants sur une application déjà existante, vieillissante et presque obsolète (vieillissante d'un point de vue technologique et commercial, mais qui garde sa valeur d'usage pour de nombreux utilisateurs). Tout support ou correctif de ce type d'application mobilise des ressources de développement non rentables pour un produit qui ne rapporte que peu ou plus de ressources.
Il est ainsi plus facile de proposer une nouvelle version quitte à faire payer ses utilisateurs pour la correction des bogues et quitte à en introduire d'autres.
Alors qu'avec une solution libre, les coûts de production et de temps homme/machine n'ont que peu d'influence, voire ne rentrent pas en jeu, les correctifs y seront apportés plus vite et de manière continue, le moteur étant le besoin de l'utilisateur, et non le chiffre d'affaire et le profit.
TCPA/Palladium
Concernant TCPA/Palladium (qui a d'ailleurs été renommé par vos experts communiquants, histoire de moins effrayer l'utilisateur) vos intentions seraient peut-être louables, si elles ne concernaient que les machines sur lesquelles votre système d'exploitation est installé, mais dans les faits, quand on regarde qui compose le directoire de TCPA, on s'aperçoit que les plus grand fondeurs l'ont intégré, obligeant donc ceux qui développent des systèmes à payer une taxe pour que celui-ci puisse être installé sur ces machines. Cela ne gènera sans doute pas une grande société comme la vôtre, mais nuira à tous ceux qui veulent créer autre chose dans un esprit libre, et n'aidera sans doute pas non plus des pays du tiers-monde à effacer leur fracture numérique.
Car l'informatique, comme vous le faites remarquer, a un coût, et la part logicielle de microsoft au sein des sociétés, ainsi que chez certains particuliers qui veulent au moins pouvoir taper un texte sur leur ordinateur ou développer une application est plus proche des 15 à 30 % du prix du matériel que des 5% que vous citez dans votre éditorial [5].
Conclusion
Pour conclure, comme vous, je dirai que l'informatique n'est qu'un outil, mais qu'en tant qu'utilisateur, je veux pouvoir demain faire ce qu'il me plaît avec ma machine sans que celle-ci engloutisse une part conséquente de mes revenus en logiciels divers et variés, tous aussi utiles qu'inutiles.
Mais les raisons de choisir le logiciel libre comme logiciel de travail sont si nombreuses qu'elles sortent allègrement de notre discussion. une simple consultation des sites de sourceforge et de freshmeat ne montre que la partie émergée de l'iceberg. Allez donc y jeter un coup d'oeil.
C'est pourquoi le logiciel libre à un avenir, n'en déplaise à certains, et c'est pourquoi je le soutiendrais toujours. Le logiciel libre est aussi une chance pour les applications orphelines qui ne trouvent pas leur place dans le logiciel propriétaire, le nombre d'utilisateurs étant trop peu important pour qu'un tel investissement soit rentable.
P.S. : si vous me le permettez, comme vous je suis un fan inconditionnel de Boris Vian, je vous conseillerai donc la lecture ou la relecture de l'un de ses derniers livres, Les Bâtisseurs d'Empires, plus proche de notre propos que les deux exemples que nous citions vous et moi dans notre échange.
En vous saluant, amicalement et librement
Albert
Responsable de la Publication de LinuxFrench.NET, Administrateur Réseau, Développeur de solutions libres, Animateur Radio, PAOiste.
Toutes les marques citées ainsi que les applicatifs nommés appartiennent à leurs auteurs respectifs.
Pour être complet, voici les articles publiés sur ce sujet :
- L'article de Fred (Léa-Linux) - l'article de Charles de Miramon (KDE-France) - l'article de Laurent Rathle (LinuxFr) - l'article de Paul Pinault (LinuxFr)
[1] http://www.miscmag.com/, N°7, article la fuite d'informations dans les documents propriétaires
[2] /http://www.viruslist.com/eng/index.html, sur une base recencée de 30 000 (cf. http://www.viruslist.com/eng/viruslist.html
[3] http://www3.gartner.com/DisplayDocument?doc_cd=101034
[4] http://news.zdnet.co.uk/story/0,,t269-s2093540,00.html, mais d'autres liens sur le sujet sont disponibles...
[5] « Les logiciels Microsoft représentent 25% du prix de l'ordinateur » http://linuxfrench.net/article.php?id_article=1199
[6] http://microsoft.com/france/technet/edito/default.asp, éditorial « un vent d'hiver »
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(c) 2003 Albert Bruc